samedi 6 février 2016

L'UE, la "puissance molle", à la remorque des Etats-Unis

L'UE restera inachevée tant qu'elle n'aura pas une politique étrangère et une défense communes ! Ce que les américains empêcheront par tous les moyens. 
Les instigateurs de l'UE doivent se retourner dans leur tombe de voir leurs successeurs accepter l'hégémonie américaine sur l'Europe. 
Le drame du monde dit "arabo-musulman", vient aussi du suivisme de l'UE derrière les EU, avec à sa tête la France; qui préconise une démocratie au rabais aux peuples "arabes" en leur imposant les Frères musulmans !
R.B
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Alexandre Del Valle*
Le Pentagone abat ses cartes sur son objectif pour l’Europe : empêcher le rapprochement entre Europe et Russie à tout prix

L'absence de moyens et d'unités de vue des Européens vis-à-vis de la Russie empêchent la formation d'une véritable politique de défense européenne. La France et l'Europe sont donc condamnées à s'aligner sur les intérêts américains. Si Nicolas Sarkozy avait instauré un équilibre entre rapprochement avec l'OTAN et entente avec la Russie, François Hollande est engagé dans un atlantisme bien plus radical.

Atlantico : Ash Carter, secrétaire d'Etat à la Défense aux Etats-Unis a présenté un projet de budget 2016-2017 qui multiplierait par quatre les moyens militaires engagés en Europe. A quels objectifs stratégiques répond ce redéploiement ?


Alexandre Del Valle : La logique globale des Etats-Unis est d'empêcher à tout prix un rapprochement entre l'Union européenne et la Russie.
Depuis au moins un siècle et demi, toute la stratégie anglo-saxonne (anglaise puis américaine) consiste à empêcher le rapprochement de la France, de l'Allemagne et de la Russie. Le cauchemar des Américains est incarné par ce que voulait le général de Gaulle: un axe Paris-Berlin-Moscou et une Europe des Nations souveraines de l’Atlantique à l'Oural.
Pour les stratèges atlantistes et américains, tout doit être fait pour empêcher la formation d'une grande Europe continentale réconciliée (la "Maison commune européenne" chère à Gorbatchev et Mitterrand), car si les Européens se réconcilient entre eux et si les Russes font partie d'une défense européenne, la domination américaine sur le continent européen n'aura plus de raison d'être et cela signifierait la mort programmée de l’OTAN telle qu’elle existe depuis sa fondation. Structurellement, la raison d'être de l’Alliance, y compris après la chute de l’ex-URSS, c'est d'accentuer le fossé avec la Russie post-soviétique. Cela ne veut pas dire que les Américains ne peuvent pas s'entendre directement avec les Russes s’ils y ont intérêt - et il y a même des responsables politiques américains qui ne sont pas antirusses comme Donald Trump ou d’autres "panoccidentalistes" ou adeptes du Reset, mais ils ne veulent pas que les Européens s'entendent trop bien avec les Russes...

Le redéploiement militaire des Etats-Unis en Europe intervient donc en réponse à une préoccupation des Polonais, des pays baltes, et même des Roumains, également très atlantistes et anti-russes, mais aussi de certains pays frontaliers de la Russie (Ukraine, Géorgie, etc) qui se sentent menacés par la réaction russe face à l'avancée européenne et atlantique vers l’Est ("étranger proche russe"). Un durcissement des positions américaines envers les Russes et inversement a d’ailleurs eu lieu à cause de la crise ukrainienne (et des "révolutions colorées" qui l’ont précédée) puis de la volonté de revanche de plusieurs pays de l'Est de l'Europe qui utilisent l'Union européenne, l'OTAN et les Etats-Unis comme des boucliers afin de se protéger contre les Russes et d’isoler la Russie de l’ensemble occidental.

En effet, les pays baltes et la Pologne étant membres de l'Union européenne, la crise ukrainienne a été utilisée comme prétexte pour demander une aide supplémentaire américaine dans le cadre de la solidarité des pays membres de l'OTAN ou alliés, ceci face au méchant ours russe accusé de dérive "néo-impériale" alors qu’en réalité l’Union européenne et l’OTAN agissent eux-mêmes comme de véritables empires en refusant de se fixer des limites à leur extension infinie jusqu’aux portes de la Russie. Dans ce contexte géo-stratégique et idéologique, les Européens atlantistes et leurs protecteurs américains ont donné des signes assez dangereux en encourageant une association bien trop hâtive de l'Ukraine avec l'Union européenne et l’OTAN. Ils ont ainsi fait très peur aux Russes et ont laissé pensé que l’Empire occidental se comportait en prédateur, certes au nom de belles idées… 
Ainsi, depuis les révolutions orange et autres en Ukraine et en Géorgie, les Occidentaux ont donné l'impression que l'OTAN avec les pays antirusses d'une part, et l'Union européenne d'autre part, voulaient "manger" un bout de territoire de l'étranger proche russe. Dans ce contexte, la crise s'est accentuée entre l'Occident et la Russie, et la Crimée a été récupérée par Moscou afin que la base militaire russe de l’île ukrainienne et anciennement russe ne soit pas supprimée par une adhésion ultérieure à l’OTAN ou à l'UE. La politique de reset avec les Russes est donc un échec total imputable aux deux camps mais dont le premier responsable est l’Occident qui n’a pas respecté le maintien d’une zone tampon entre les deux "empires".

Face à la menace de l'Etat islamique, aux provocations russes en Ukraine et à la faiblesse de la défense européenne, ce réengagement des Etats-Unis est-il une bonne nouvelle ? Sous quelles conditions pourrait-il profiter à l'Europe ? 


Alexandre Del Valle : Selon moi, ce n'est pas une bonne nouvelle car même si c'était utile, ce dont je doute, cela montre qu'il y a un durcissement entre les Russes et les Occidentaux et que l'OTAN continue à désigner la Russie comme une menace. Le secrétaire d'Etat américain a parlé d'agression russe. Or, quand on parle d'agression, on a affaire à un ennemi. Considérer la Russie comme un ennemi ne peut être une bonne nouvelle pour personne et surtout pas pour ceux qui n'aiment pas la Russie. Les Ukrainiens et les Polonais seront forcément perdants s'il y a un affrontement entre la Russie et l'Union européenne.

Par ailleurs, le secrétaire d'Etat américain a également désigné la Chine comme un ennemi. Se dessine une sorte de nouvelle Guerre froide dans laquelle perdure le camp russo-communiste qui est le camp du mal et le camp du bien incarné par l'Occident libéral et individualiste. Sortir de ce vieux schéma semble très difficile.

La Chine communiste n'a plus grand-chose de communiste puisqu'elle est intégrée dans le marché mondial et la Russie n'a plus rien non plus de communiste même s'il y a des nostalgiques de Lénine et de Staline. C'est un pays d'oligarchie qui n'a rien de marxiste. L'OTAN a tout intérêt à ne pas changer de logiciel : sa raison d'être est d'endiguer la Russie. Ainsi, même si les Russes ne sont pas menaçants, tout devra être fait pour faire croire qu'ils le sont. De la même façon, lorsque la Turquie a abattu un avion russe, elle cherchait à exciter les pays de l'OTAN contre la Russie au nom de l'article 5 de l'OTAN qui impose la solidarité entre les pays membres. Les pays baltes et les Polonais sont dans une logique similaire : ils essaient d'obliger les pays de l'OTAN à être solidaires dans une position radicalement antirusse et revancharde. Personne n'a intérêt à faire du revanchardisme.

Sous Nicolas Sarkozy, la France a rejoint la structure de commandement de l'OTAN. François Hollande va plus loin encore : un projet de loi a été déposé le 4 janvier pour une réintégration de la France à l'ensemble des instances de l'OTAN. Ces deux décisions entérinent-elles une rupture historique avec la ligne gaullo-mitterrandienne en matière de politique étrangère?


Alexandre Del Valle : Le premier à avoir rompu avec cette ligne est le fossoyeur du gaullisme, Jacques Chirac. Il a commencé le mouvement de rapprochement avec l'OTAN, Sarkozy n'a fait que le continuer et Hollande est en train de l’achever. C'est malheureusement ou heureusement, c'est selon, une tendance lourde qui est elle-même liée à la faiblesse des budgets militaires des pays européens, de ce fait incapables d’avoir une défense propre autre que celle de l’OTAN pilotée par les Etats-Unis. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs assez intelligemment justifié ce rapprochement, selon lui inévitable dans ce contexte. Sa position était relativement équilibrée : il voulait certes revenir dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, mais tout en se rapprochant considérablement de la Russie. La France était ainsi à la fois très proche de la Russie - c'était le pays le plus pro-russe avec l'Italie parmi les pays d'Europe de l’Ouest - et se rapprochait en même temps de l'OTAN. L'idée de Sarkozy était la suivante : "mieux vaut compter au sein de l'OTAN en étant vraiment intégré que d'être plus ou moins membre sans être associé aux décisions stratégiques". Ce point de vue se tient dès lors que nous n’avons pas les moyens d’une souveraineté militaro-stratégique totale. C’était une position logique car la France était de fait dans l'OTAN mais sans profiter des avantages des pays décideurs membres du Commandement militaire intégré.

Malheureusement, la vision du Gouvernement Hollande, indépendamment des qualités réelles de son ministre de la Défense, n'est pas aussi équilibrée puisque, jusqu’aux attentats du Bataclan, la Russie était un ennemi et traité comme tel par François Hollande. A contrario, l'Italie qui est membre de l'OTAN mais qui est également très proche de la Russie, a toujours refusé de diaboliser la Russie. La position d’équilibre de Rome (de Berlusconi à Matteo Renzi) qui consiste à être allié avec l'OTAN et à avoir des rapports de bon voisinage avec la Russie, est selon moi la bonne, à l’opposé de celle du quinquennat de Hollande qui marque la fin de ce qui restait de la stratégie gaullienne qualifiable de "continentale".

La rupture avec cette tradition française d'équilibre continental au profit d'un déséquilibre atlantiste est consommée, même si les choses peuvent évoluer du côté français si les conflits ukrainiens et syriens sont résolus (ce dont nous sommes encore très loin). En cela, la politique étrangère de Hollande se distingue de celles de Sarkozy et même de Chirac : bien qu'étant libéral et atlantiste, Sarkozy avait quand même renoué avec l’allié russe dans la tradition gaulliste de sa famille politique d’origine. Malgré le fait qu’il ait abandonné la plupart de ses principes gaullistes, Jacques Chirac était lui aussi également en bons termes avec Moscou, bien que se rapprochant de l’OTAN. A l'inverse, sous François Hollande, on constate un atltantisme assez radical qui rappelle celui des socialistes sous la IVème République, car il ne s'accompagne pas d'un rapprochement ou d'une amitié poussée avec la Russie.

Quelles sont les priorités de l'action extérieure de la France ? Existe-t-il toujours une spécificité française dans le domaine de la politique étrangère, ou bien cette dernière est-elle définitivement condamnée à s'aligner sur les intérêts stratégiques américains ?

Alexandre Del Valle : Je ne sais pas si la France va s'aligner totalement sur les intérêts stratégiques américains, car la France est malgré tout une puissance moyenne, au sens positif du terme qui signifie qu’elle est une puissance géostratégique malgré son affaiblissement : elle est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, elle dispose d'une certaine liberté d’action géopolitique du fait de la détention du feu atomique autonome et de ses fleurons industriels et de la puissance de son Etat puis de ses possessions maritimes.

De ce point de vue, sa puissance stratégique est supérieure à celle de l'Angleterre au niveau international, puisque l'Angleterre partage sa bombe atomique avec les Américains. La France restera donc parmi les pays européens un des plus souverains d’un point de vue diplomatique et géopolitique. Toutefois, elle a de moins en moins de moyens concrets : l'armée a de moins en moins les moyens de faire face sur plusieurs fronts, elle est de plus sous-équipée au niveau conventionnel, elle vend des appareils de haut niveau aux autres mais peine à s’équiper à la hauteur de ses ambitions et de sa présence partout dans le monde. La France n'a plus les moyens de sa puissance, elle ne peut plus faire cavalier seul, et c'est peut-être dans ce cadre-là et pour cette raison basique qu'elle approfondit son enracinement dans l’OTAN, et donc perd de son autonomie stratégique.
La France aurait tout intérêt, comme elle l'a fait dans le passé jusqu'à Chirac et Sarkozy, à promouvoir une Europe de la défense dont elle serait le pivot. Malheureusement, dans la démocratie européenne aujourd’hui, caractérisée par la démagogie et l'Etat-assistanat, augmenter les budgets de défense est très mal vu, sauf en cas d'attentats terroristes dans le cadre de déclarations démago-électoralistes peu ou pas suivies d'effet. Dans des pays sociaux-démocrates comme les pays européens, il n'existe aucune volonté politique déterminée à augmenter les budgets militaires de façon assez satisfaisante pour avoir une vraie politique de défense européenne, inexistante depuis la fondation même de l’UE qui se repose sur l’OTAN de façon volontaire, comme cela est officialisé dans tous les traités européens jusqu’à Lisbonne. Je ne suis donc pas d’accord avec ceux qui accusent les Etats-Unis : les premiers responsables de la faiblesse stratégique européenne, de sa division et de l’absence de défense européenne et donc de la domination étatsunienne sont les Européens eux-mêmes, atteints du syndrome de la "volonté d’impuissance".

La situation est la suivante : personne ne veut investir ce qu'il faudrait investir pour avoir une vraie défense européenne et il n'y a aucune convergence de vue des pays de l'UE concernant la Russie : Les Grecs, les Hongrois, les Chypriotes, les Italiens (et demain les Serbes) sont par exemple favorables à Moscou, tandis que les Polonais, les Roumains, les Baltes et les Britanniques sont outrancièrement anti-russes et soumis aux intérêts atlante-étatsuniens. La direction politique de l’UE n’a non seulement "pas de numéro de téléphone unique", comme disait Kissinger, mais elle est chaotique et atomisée/divisée diplomatiquement et géopolitiquement, et même économiquement et idéologiquement, sans oublier les cultures et histoires nationales divergentes. Du fait de ce manque de moyens et d'unité de vues, personne n'a envie de construire une vraie défense européenne qui nécessiterait une convergence sur ces points aujourd’hui impossible. Ne reste alors qu'une solution de partage des coûts avec le protecteur américain qui, lui, consacre près de 600 milliards d’euros à sa défense, puis d'alignement sur l'OTAN.


L'Europe est donc condamnée à rester une "puissance molle", à la remorque des Etats-Unis, un continent qui devient une sorte de marche de "l'empire américain". Comme l'affirmait de façon un peu cynique Zbigniew Brzeziński, grand stratège américain, dans son best seller Le Grand Echiquier, l'Europe est vouée à être une possession de l'empire étasunien, tant d’un point de vue géostratégique que culturel, idéologique et comportemental ("Culture Mc World"), et je n’en blâme pas les Américains qui ont un réel projet politique, idéologique et civilisationnel et une "volonté de puissance", alors que les Européens traumatisés par les guerres civiles européennes passées et plongés dans le confort de l’Etat-providence semblent, comme l’écrivait peu avant sa mort mon ami et maître le Général Pierre Marie Gallois, "sortis de l’Histoire".

Alexandre del Valle est un géopolitologue renommé. Ancien éditorialiste à France Soir, il enseigne à Sup de Co La Rochelle et est chercheur associé à l'Institut Choiseul. Il a publié plusieurs livres sur la faiblesse des démocraties, les Balkans, la Turquie et le terrorisme islamique. Il est notamment auteur des livres Le Chaos Syrien, printemps arabes et minorités face à l'islamisme (Editions Dhow 2014), Pourquoi on tue des chrétiens dans le monde aujourd'hui ? : La nouvelle christianophobie (éditions Maxima), Le dilemme turc : Ou les vrais enjeux de la candidature d'Ankara (Editions des Syrtes) et Le complexe occidental, petit traité de déculpabilisation

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