lundi 18 janvier 2016

Religion et politique : la chance historique de l’Occident

Ce que les chrétiens ont fait, les musulman peuvent le faire et doivent le faire car ceux qui aspirent à gouverner, instrumentaliseront toujours la religion pour sacraliser leur pouvoir qu'ils soient religieux ou homme politique. C'est pourquoi les musulmans, tout comme l'ont fait avant eux les chrétiens, doivent s'émanciper de la religion création de l'homme pour dominer les hommes, et la confiner à la sphère privée des individus. Sinon point de progrès possible !
R.B
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La séparation du politique du religieux est l’une des particularités du monde occidental. Même si la justification de la légitimité a longtemps été cherchée dans l’onction divine, l’Occident n’a jamais connu de vraie théocratie (l’imposition sans partage de la loi de Dieu) comparable à celle que nous voyons aujourd’hui appliquée en Iran ou en Arabie Saoudite. Ce n’est pas que la tentation n’ait pas existé du côté de Rome, mais la résistance des dirigeants politiques s’y est opposée très tôt et les conditions du clivage se sont mises en place dès l’époque médiévale. Un petit rappel historique peut être intéressant.

Au VIII° siècle, l’autorité de la papauté est plus qu’incertaine. Elle est contestée par le Patriarcat de Constantinople, menacée tant par les raids musulmans venus d’Afrique que par la pression des Lombards d’Italie du Nord et, de plus, littéralement confisquée à son profit par l’aristocratie romaine. C’est donc moins par calcul que par besoin de protection que les papes favorisent l’ascension de la Maison carolingienne en Gaule. Renvoi d’ascenseur : la descente en Italie de Pépin le Bref, fils de Charles-Martel, dote la papauté d’un espace territorial autour de Rome dont elle gardera la souveraineté jusqu’en 1870. L’aboutissement final de cette alliance est le couronnement à Rome de Charlemagne, fils de Pépin, ainsi promu empereur d’Occident par le pape Léon III. Mais, rusé, celui-ci semble avoir alors saisi une occasion : c’est lui-même, le vicaire du Christ, qui a couronné et donc investi le nouvel empereur. Symboliquement, il a ainsi affirmé la suprématie de l’autorité religieuse.
La manœuvre fait cependant long feu. L’empire carolingien se disloque au IX° siècle, vite réduit à sa seule partie germanique (le Saint-Empire) et la papauté connaît à nouveau une période de désordre et d’impuissance qui dure jusqu’au milieu du XI° siècle.

Tout commence à changer avec le pontificat de Nicolas II, qui se débarrasse en 1059 de la tutelle des grandes familles romaines et des princes laïcs en confiant au seul collège sacerdotal des cardinaux le droit d’élire un pape. Mais c’est surtout son successeur, Grégoire VII (1073-1085), qui ouvre une ère nouvelle.
Non content de rétablir dans l’Eglise une stricte discipline (c’est de son pontificat que date l’exigence du célibat des prêtres), Grégoire VII développe une véritable théorie du pouvoir pontifical. Reprenant l’antique définition de l’Eglise conçue comme la totalité du peuple chrétien (donc la société entière), il pose son chef, le pape, successeur de St Pierre investi par Jésus lui-même, comme détenant une autorité prééminente supérieure à celle des rois, une « plénitude du pouvoir » par délégation de la toute-puissance divine. Il est le seul vrai souverain de l’Europe-chrétienté qu’il gouverne au nom de Dieu. Il crée donc le principe d’une théocratie.
Cette prétention est fort mal reçue par l’empereur germanique et ouvre un conflit qui, avec nombre de vicissitudes, va durer deux cents ans. 

D’autant qu’un siècle plus tard, le pape Innocent III (1198-1216) reprend en l’amplifiant le programme de Grégoire VII. Momentanément débarrassé de toute contestation suite à la mort en Croisade de l’empereur Frédéric 1er Barberousse, Innocent III s’attribue la fonction de législateur suprême, mandataire omnipotent de Dieu dont l’autorité est non seulement supérieure à celle des rois, mais même à celle des conciles. Il s’ingère dans le gouvernement des royaumes, frappe d’interdit la France parce que le roi Philippe-Auguste a répudié sa femme, prétend déposer le roi d’Angleterre parce qu’il lui a désobéi, intervient en Allemagne dans la désignation du successeur de Barberousse. Il se montre revêtu du manteau de pourpre, tenant un sceptre d’or et coiffé de la tiare, dont les trois couronnes le désignent comme père des rois, régent du monde et vicaire du Christ.
Parallèlement, il impose une stricte orthodoxie. Il est le créateur de l’Inquisition, chargée de poursuivre l’hérésie ; il oblige les Juifs à porter sur leur vêtement une marque distinctive ; il réprime la prostitution, l’homosexualité. Il ne tolère nulle déviance.

De telles exigences provoquent de vives résistances dans la société civile et c’est durant les cent années qui suivent que se mettent en place les bases de cette dualité entre religion et pouvoir politique qui fondera la spécificité future de l’Occident. Si les circonstances permettent aux successeurs d’Innocent III de briser la résistance du Saint-Empire germanique, ils vont se heurter à partir de 1294 à l’opposition obstinée du roi de France Philippe IV le Bel.
Entourés de juristes nourris de droit romain, très jaloux de ses prérogatives royales, Philippe IV se heurte de front à l’intransigeant pape Boniface VIII. Furieux des ingérences de ce dernier dans les affaires du royaume et alors que le pape affirme par encyclique qu’il est « de nécessité de croire que toute créature humaine est soumise au pontife romain », le roi conteste l’élection de Boniface VIII et en appelle à un concile pour le déposer. En 1303, ses envoyés en Italie obtiennent même sa mise en accusation. Boniface VIII meurt alors fort opportunément, en 1305.

Philippe IV impose alors l’élection d’un prélat français et l’obligeant à quitter Rome, il installe le Saint-Siège à Avignon ! Le rêve d’hégémonie théocratique de la papauté est brisé net, il ne s’en relèvera jamais.

A la fin du XIV° siècle, quand les cardinaux italiens tentent de ramener la papauté à Rome, l’unité de l’Eglise se fracture : c’est le Grand Schisme d’Occident. Pendant un temps, il y a deux papes, l’un à Rome, l’autre à Avignon et les princes choisissent celui qu’ils reconnaissent comme le bon. Quand le concile de Constance (1414-1418) met fin à cette division, l’autorité pontificale est extrêmement affaiblie. La tentative de la réaffirmer provoque une autre rupture, bien plus grave : la Réforme protestante. La moitié de l’Europe considère alors le pape romain comme un usurpateur. Même aux yeux des souverains demeurés catholiques, il est contesté. Le pieux Charles-Quint lui fait la guerre et ses mercenaires mettent Rome à sac en 1527. Au même moment, le très-chrétien François 1er passe alliance avec le Grand Turc, un comble ! 

Au siècle suivant, en 1688, Louis XIV traitera non sans rudesse le pape Innocent XI qui gêne sa diplomatie. En 1773, le consensus des rois de l’Europe catholique imposera à Clément XIV la dissolution de l’ordre des Jésuites, jugé un peu trop intrusif. Le pape est accepté à condition d’être discret.

Après la crise de la Révolution française et profitant du climat de réaction qui suit 1815, des pontifes tels Grégoire XVI (1831-1846) et surtout Pie IX (1846-1878) essaieront de retrouver quelques prérogatives. Vains efforts : si Pie IX réussit à condamner par l’encyclique « Quanta cura » (1864) à peu près toutes les nouveautés du monde moderne, il ne peut se voir déclarer infaillible « qu’en matière de religion » par le concile Vatican I et surtout, il ne peut empêcher le roi d’Italie Victor-Emmanuel II, au demeurant très catholique, d’envahir en 1870 les millénaires états pontificaux, faisant de Rome la capitale de son royaume et confinant le pape dans son palais du Vatican.

Comme on le voit, l’idée d’une séparation du religieux et du civil est inséparable de l’histoire de l’Europe occidentale. L’Eglise finira par l’admettre, ne faisant au fond par là même que mettre en œuvre la parole même du Christ. Le principe d’un pouvoir théocratique n’a jamais pu réellement s’imposer.

C’est tout le contraire dans le monde musulman et c’est peut-être à l’heure actuelle le plus grand problème qu’il doit affronter, comme en témoigne l’appel à l’application de la charia et la confusion du religieux et du politique. 
La chance de l’Occident (et peut-être l’une des clés de sa réussite historique) est d’avoir échappé à ce péril.

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