lundi 17 août 2015

Une constitution à la merci des islamistes ?

Une constitution à la merci des islamistes ? La société civile n'en a pas fini de défendre le CSP ! Car rien n'est définitivement acquis. Et dire que certaines femmes inconscientes ou idiotes utiles, sont entrain de couper la branche sur laquelle elles sont assises en jouant le jeu des islamistes en portant leur étendard sous forme de foulard, hijeb, niqab ...
R.B

Faut-il réexaminer le Code du statut personnel ?

C'est le jour du 13 août, fête nationale de la Femme et 59e anniversaire du Code du statut personnel (CSP) que Sana Ben Achour, juriste et figure notoire du féminisme tunisien, a organisé, en fin d’après-midi, une rencontre à l’Agora, à La Marsa. Un débat de haut vol a réuni d’éminentes personnalités sur le thème : histoire du Code du statut personnel, son impact au temps de sa promulgation, et sa réelle portée aujourd’hui. 

Le CSP, cette marque de fabrique tunisienne, qui a représenté une vraie révolution par le droit pour reconfigurer la famille tunisienne en la faisant passer du statut patriarcal au statut conjugal et en reconnaissant un certain nombre de droits fondamentaux aux femmes, est devenu  un lieu de l’enfermement. La question que se pose, selon les termes de l’organisatrice, présidente de l’association « Beity » (ma maison) à ses heures : « Est-ce qu’il n’est pas temps aujourd’hui d’examiner en profondeur le Code du statut personnel ?»

Les invités appelés à intervenir sont les juristes Yadh ben Achour, l’historienne et militante Sophie Bessis. Dorra Bouzid a été invitée à raconter sa propre expérience en tant que journaliste pionnière. Plusieurs figures du militantisme tunisien et de la société civile étaient présentes, dont Souhyr Belhassen, Selma Hajri, présidente du groupe « Tawhida Ben Cheikh » qui défend le droit à l’avortement. Khedija Cherif, fraîchement décorée par le président de la République, le jour même, a fait une entrée remarquée. 

L’idée directrice de la rencontre est l’adaptation du CSP au nouveau droit constitutionnel tunisien. « On ne reviendra pas sur ce qui est acquis, rassure d’emblée Sana Ben Achour, mais le Code a toujours fait l’objet de réformes. Il a été réformé de l’intérieur en  1958, 1959, 1964, 1981, 1993, 2006, 2007, 2008 et 2010 ». Objectif : placer le principe d’égalité au fondement même de la réflexion. 

La question de La Presse aux intervenants était, « si la Constitution de 2014 est truffée d’ambiguïtés, comme cela a été dit, et demeure tributaire des rapports de force politiques, faudra-t-il penser à un CSP bis pour faire avancer de manière concrète les droits des femmes, sachant que le CSP a été imposé par un leader qui bénéficiait en son temps d’un état de grâce ? » 

Le débat intéressant s’appuyait essentiellement sur deux postures, la première considère que toute évolution profonde est progressive et vient par le débat. 
Yadh Ben Achour le dit explicitement : « La chance historique de la Tunisie, c’est qu’on est arrivé à résoudre les grandes divisions idéologiques, de convictions et de confessions par le débat public. C’est plus important que la révolution et la Constitution. Depuis 2011, nous débattons de tout. Il n’y a pratiquement pas de tabous, y compris celui de la croyance ». 

Sophie Bessis pense que « depuis la fin des années 70 et depuis les années 80, depuis les prémices d’une réislamisation de la société, les Tunisiennes sont déchirées entre deux postures. D’une part, la défense du CSP, qui est certes imparfait, mais par crainte d’une régression et d’une remise en cause d’un certain nombre d’acquis, on le défend. Et, deuxième posture, essayer d’aller au-delà du CSP parce qu’il est imparfait, et incomplet et parce que aujourd’hui il a épuisé sa fonction historique ».

Chaque intervenant a été appelé à exposer brièvement son analyse dans un temps de parole relativement court, compte tenu de la complexité de la thématique. C’est le juriste, auteur et doyen Yadh Ben Achour qui est intervenu en premier.

Yadh Ben Achour : « Le CSP est une révolution par le droit et la Constitution de 2014 est sécularisée et démocratique »

Nous sommes comme dans toutes les sociétés arabes dans une période historique de la rupture. Les contradictions étaient sous-jacentes maintenues sous la dictature — cela est très dangereux, ça engendre des guerres civiles à terme — maintenant elles sont visibles. 
Oui, les divisions sautent aux yeux. Il n’y a qu’à se promener sur la plage pour le constater. Ces divisions où elles se résolvent par la répression, ce qui ne donne jamais un résultat positif, par la guerre civile et nous avons connu des Etats démocratiques qui ont construit leur démocratie après une guerre civile, — il y a des cassures si profondes qu’on n’arrive pas à résoudre par la voie du débat —, la Tunisie a cette chance de s’être débarrassée de la dictature et de résoudre ses problèmes par le débat. Aujourd’hui, nous sommes en face de deux sociétés qui se regardent et c’est à nous de gagner la bataille et de la gagner par la démocratie, la persuasion et le militantisme. 

Le CSP constitue véritablement une révolution par le droit, en ce sens ce n’est pas tellement parce qu’il a émancipé la femme qu’il se distingue.  Pendant des siècles jusqu’à 1956, la société construisait elle-même ses droits. Il est interdit à l’Etat de pénétrer dans un certain nombre de domaines, et en particulier le domaine de la famille. L’Etat était condamné à la passivité juridique. Donc, oui le CSP est une révolution par le droit. 

Mais encore aujourd’hui après une véritable révolution d’ordre politique qui a fait tomber un régime avec ses symboles et ses structures et sa constitution, ces domaines de la liberté et égalité homme-femme représentent une sorte d’épopée à la Sisyphe. On n’arrivera jamais à réaliser toutes nos ambitions et à atteindre l’idéal. Car que constatons-nous ? D’abord pour modifier une société dont le présent est toujours dirigé par le passé, il est très difficile de la faire bouger, même si de très belles lois existent. Donc patience, le CSP n’est certainement pas un échec, mais n’a pas atteint parfaitement et entièrement son objectif. Et, surtout le CSP n’a pas réussi à clarifier les référentiels. 
En revanche, la Constitution de 2014 ne contient pas de disposition qui fasse référence à l’Islam comme religion d’Etat. Autrement dit, l’Etat est neutre sur le plan religieux, l’Etat, disons le mot, est un Etat laïque. Nous pouvons dire aussi un Etat séculier.

Nous avons adopté le principe de la liberté de conscience dans l’article 6 qui permet d’avoir une religion ou de ne pas en avoir et qui permet au musulman de sortir de sa religion. Ce qui est également une très grande nouveauté par rapport à tout le droit de l’apostasie qui condamne le musulman qui renie sa religion à la peine de mort. Nous avons supprimé la condamnation de l’atteinte au sacré. Bref, la Constitution de 2014 a clarifié la dualité et la contradiction référentielle. Nous avons réussi à avoir une Constitution sécularisée démocratique qui établit, par l’article 46 et par d’autres, l’égalité absolue entre l’homme et la femme. 

Cette Constitution représente un progrès majeur dans notre pays par apport à la Constitution de 1959. Elle fait du bourguibisme plus que Bourguiba lui-même. 

Seulement, il faut le signaler, nous constatons aujourd’hui une sorte de trahison des juges. Nous avons des arrêts absolument scandaleux qui ont été rendus en juin 2014, et qui reviennent aux schémas les plus archaïques de notre droit. Pour conclure, dans un arrêt du 26 juin 2014 de la cour d’appel de Tunis, l’une des juridictions les plus importantes de notre pays, « pour cause de disparité de religion, l’un des deux époux n’est pas musulman et ne peut donc pas hériter », c’est catastrophique. 

Nous n’avons donc pas beaucoup avancé, après une première révolution, celle du CSP sous Bourguiba, après la constitution de 2014 qui n’est que le résultat d’une véritable révolution politique de 2011. Nous revenons en arrière comme si rien n’avait eu lieu. La négation totale de tout. Ceci doit nous faire prendre conscience qu’on ne fait pas une révolution par le droit législatif, celui du CSP ni par le droit constitutionnel, celui de la Constitution de 2014. Il faut beaucoup plus. Et c’est à nous de continuer le combat et de nous armer d’encore plus de convictions et de résistance pour aller vers un progrès réel. 

Prenant la parole tout juste après, Sophie Bessis apporte une analyse différente quand elle n’est pas totalement contradictoire à celle de son voisin de tribune.
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Sophie Bessis : « Le CSP comme la Constitution de 2014 sont des monuments d’ambiguïté »

« Est-ce qu’une révolution, que ce soit une révolution par le droit ou une révolution tout court, peut réussir si elle n’a pas été préparée par un mouvement d’idées profond qui a changé les paradigmes d’une société et préparé pour une intériorisation des nouvelles valeurs et du processus par le corps social ? C’est une question à laquelle je ne répondrai pas. 

 Depuis la fin des années 70 et le début des années 80, depuis les prémices d’une réislamisation de la société, les Tunisiennes sont déchirées entre deux postures. D’une part, la défense du CSP qui est certes imparfait, mais la défense de ce code était motivée par la crainte d’une régression. Et, deuxième posture, essayer d’aller au-delà du CSP parce qu’il est imparfait et incomplet. Ce code pour des raisons totalement différentes est sanctuarisé par tout le monde. C’est un consensus d’une partie extrêmement grande de la société tunisienne. C’est un territoire qui est un progrès par rapport au passé et par rapport au reste du monde arabe, et en même temps  il n’y est pas question d’égalité. Il faut le dire.

Personnellement, je suis frappée à chaque 13 août de voir qu’on célèbre la femme tunisienne. Ce singulier insupportable. Il y a à peu près 5 millions et demi de femmes dans ce pays. Dire « la femme tunisienne », c’est créer un archétype totalement déconnecté du réel, qui permet d’avancer que la femme tunisienne est libérée et ne voir ni les contradictions juridiques, ni les contradictions sociétales ni idéologiques ni politiques. Oui le CSP a émis de nouvelles règles et a mis sur les rails une certaine émancipation des femmes. Mais avec deux insuffisances, même s’il y une laïcisation, on est plus dans la logique d’« ijtihad » et non pas d’une séparation du politique et du religieux. 

Le CSP n’était pas non plus intrusif dans la vie domestique. L’Etat a continué à n’y avoir pas accès. 

Quant à la Constitution de 2014, je ne la vois pas comme une Constitution laïque. Oui, l’article premier est descriptif et non pas normatif, mais il existe. Et, on peut s’y référer pour introduire de nouvelles règles normatives. D’ailleurs, certains le souhaitent et s’accrochent à l’article premier comme article référentiel. Deuxièmement, je ne vois pas que l’Etat soit neutre à la religion. Car si la liberté de conscience est promulguée, et c’est une nouveauté tout à fait extraordinaire, la Constitution dit aussi que « l’Etat est le protecteur du sacré et le garant de la religion ». A mon sens, ce n’est donc pas une Constitution laïque. 

Et comme l’a été à sa façon le CSP, comme l’est aujourd’hui la constitution, nous sommes dans un monument d’ambiguïté qui fait que cette Constitution sera appliquée selon le rapport de forces politiques, d’où, à mon avis, sa faiblesse. Sa lecture dépend d’un rapport de forces politiques au sein du pays et cela lui donne une fragilité extrêmement grande. Une fragilité qui se répercute par conséquent sur la question de l’égalité et encore plus à la question de la parité. 

Dans les pays où le droit est totalement inégalitaire et discriminatoire, la bataille du droit est fondamentale. Mais le droit n’est pas tout et beaucoup d’évolution ne se font pas par le droit. Surtout quand l’Etat contredit par d’autres actions un certain nombre de ses lois. L’école est mixte en Tunisie, la rue reste en revanche un espace masculin. Là où l’Etat tunisien, et ce qu’il est devenu sous la dictature, n’a pas fait son travail en matière de consolidation des droits des femmes, c’est en matière d’enseignement et de transmission des normes. Ce ne sont pas les nouvelles normes qui ont été transmises au sein de la société, ce sont soit les normes anciennes et coutumières ou celles induites d’une réislamisation de la société. 

Certes, les pays européens ont mis des siècles pour acquérir les droits dont le citoyen bénéficie aujourd’hui, mais le rapport au temps et le sens de l’histoire ont changé. On ne peut se référer à ce temps-là. 

Aujourd’hui, trois générations ont vécu dans la Tunisie indépendante. On voit que des choses ont évolué et beaucoup d’autres non. La question des droits des femmes a été relativement appropriée par la société. On se demande quelles sont les raisons qu’en trois générations cette appropriation ne s’est pas faite par les femmes ». 

Propos recueillis par Hella LAHBIB



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