dimanche 6 juillet 2014

Califat irakien : le rêve de l'Oumma peut-il devenir réalité ?

Les Frères musulmans et leur émir du Qatar se font doubler : leur rêve de Califat leur passe sous le nez ! Un coup monté par les Ibn Saoud et l'oncle Sam
R.B


Renaud Girard, analyse les conséquences de la proclamation du nouvel Etat islamique, à cheval entre l'Irak et la Syrie.
FigaroVox: Les djihadistes ont annoncé lundi qu'ils instauraient un califat à cheval sur l'Irak et la Syrie. Cet Etat islamique peut-il durer, voire s'étendre? Quelles sont les conséquences pour la région?
Renaud GIRARD: Le califat s'étend de la province d'Alep, dans le nord de la Syrie, jusqu'à celle de Diyala, dans l'est de l'Irak, frontalière de l'Iran. En Syrie, contrairement à ce croyait une partie des dirigeants occidentaux, Bachar el-Assad est solidement installé et n'est pas prêt de laisser tomber Damas. S'il y avait des élections vraiment libres, il n'est pas certain qu'il recueillerait moins de 50% des voix. Les combattants islamistes sont donc retranchés dans le désert. Les communautés chrétiennes et kurdes en sont les victimes. En Irak, la prise de Mossoul est loin d'être négligeable, mais Bagdad n'est pas menacé. Pour que cet émirat puisse avoir une consistance et faire fantasmer encore plus qu'il ne le fait aujourd'hui, il faudrait qu'il prenne les deux grandes capitales historiques que sont Damas et Bagdad. Damas fut le siège du califat des Ommeyades (671-750) et Bagdad le siège du califat des Abbassides (750-1258), jusqu'à ce que l'invasion mongole balaie tout ça. Tant que l'Etat islamique en Irak et au Levant ne détient pas ces deux lieux symboliques, il lui manquera toujours quelque chose.
Quelles sont les motivations des djihadistes?
La motivation idéologique de ces combattants est très forte car elle est fondée sur un rêve comme ce fut le cas pour les soldats de la révolution bolchevique ou pour les soldats fanatisés du Troisième Reich. Ils adhèrent à l'idéal du retour à l'âge d'or des Califes Rachidoun (les «bien guidés»), Abou Bakar, Omar, Osman et Ali, qui sont les quatre califes des premiers temps de l'islam. Ils pensent qu'il faut, comme au 7ème siècle, un califat unique pour gouverner l'ensemble du monde musulman, l'Oumma. Face aux humiliations successives qu'ont constitué le déclin de l'Empire ottoman, la colonisation européenne, et l'échec du nationalisme arabe de type nassérien, beaucoup de jeunes musulmans se raccrochent à l'islamisme et rêvent d'un retour à l'époque où les musulmans ne subissaient pas l'histoire, mais la faisaient, à l'époque de la conquête de l'Afrique du Nord et de l'Espagne au 7ème et 8ème siècles.
Ceux qui adhèrent à cette idéologie islamiste sont politiquement et culturellement frustrés: ils ont le sentiment que les musulmans ne sont pas représentés dans l'histoire, dans la science ou dans la culture dominante. Leur rêve est aussi fou que celui du Troisième Reich ou du monde sans classe dont rêvaient les communistes. Mais il faut se souvenir que les Rouges de Trotski et Lénine ont battu les armées des Russes Blancs financées par l'Occident.
Leur prétention à abattre les frontières du Moyen-Orient vous paraît donc réaliste?
C'est le rêve de l'Oumma musulmane sous-tendu par l'idée que les nations, les Etats, les frontières, sont des créations de l'Occident. Pour eux, toute la politique qui vient de l'occident, que ce soit la démocratie, les élections, l'égalité hommes-femmes, c'est une politique du diable. Ce qui compte, c'est l'ensemble de la communauté musulmane et non les Etats. Néanmoins, je ne pense pas que ce soit réaliste. J'en veux pour preuve deux exemples. La guerre Irak/Iran a montré que le nationalisme arabe était plus fort que les solidarités religieuses puisqu'aucun soldat chiite irakien n'a fait défection pour l'Iran. Ce qui a prévalu, dans cette guerre de 1980 à 1988, c'est la nationalité. Deuxième exemple de la prégnance du fait national dans le monde arabo-musulman: lorsque le général de Gaulle a proposé en 1960 au roi du Maroc Mohammed V de discuter d'un éventuel partage du Sahara avec une Algérie qu'il avait l'intention de décoloniser, les Marocains ont répondu qu'ils régleraient directement la question du Sahara avec leurs «frères» algériens. Ce «règlement entre frères» a bien eu lieu en 1963: il s'est appelé la «Guerre des Sables»…
Comment la communauté internationale peut-elle faire reculer les islamistes? Cela passe par une nouvelle intervention armée ou par la diplomatie?
L'intervention militaire de George W Bush s'est soldée par un désastre dont nous payons aujourd'hui les conséquences. Sur le plan diplomatique, Obama aurait une carte à jouer en Iran, mais le président américain n'est pas très à l'aise au Moyen-Orient, en raison notamment de son Congrès. C'est une région qui lui déplaît et il n'arrive pas à saisir au bond la possibilité d'une entente stratégique entre les Etats-Unis et l'Iran qui est pourtant une nécessité historique.
Le grand rival de l'Iran est la Russie et non les Etats-Unis. D'autant plus que le chiisme iranien est beaucoup plus ouvert par nature que le sunnisme car il tolère la critique et les différentes écoles d'interprétation de l'islam. Il y a toujours eu en Iran même sous Khomeiny des écoles libérales de l'islam chiite. C'est un pays beaucoup plus ouvert et moins radical que l'Arabie Saoudite: aujourd'hui, il y a des Eglise et des synagogues en Iran, les femmes conduisent et peuvent travailler. Lorsque vous vous promenez à Téhéran, vous constatez que les gens sont plutôt pro-occidentaux et que les mosquées sont vides le vendredi. Lorsque les gens ont voté pour Rohani (qui a été élu président de la République islamique dès le premier tour), ils ont voté pour le plus pro-occidental des candidats que le système ait jamais eu. L'Iran n'a jamais non plus été une menace sérieuse pour Israël. Dans l'histoire, les Perses ont toujours soutenu les Juifs. Les Etats-Unis devraient donc aller beaucoup plus loin dans la réconciliation pour faire barrage au wahhabisme radical. Il est dommage que cette entente ne se fasse pas.
Malheureusement, les Américains sont tenus par le pacte du Quincy, scellé le 14 février 1945 sur le croiseur USS Quincy entre le roi Ibn Séoud, fondateur du royaume d'Arabie saoudite, et le président américain Franklin Roosevelt, de retour de la conférence de Yalta. Le deal était simple: l'Arabie saoudite donnait le monopole de l'exploitation du pétrole aux compagnies américaines, en échange de quoi les Etats-Unis assuraient la protection du pays contre ses voisins, et s'engageait à ne pas se mêler des affaires intérieures du royaume. Tant pis si avec la manne pétrolière, les Saoudiens financent partout l'islamisme et le terrorisme… Dans cette absence de dialogue stratégique entre l'Occident et l'Iran, Téhéran a également sa part de responsabilité. Le pays est paralysé par la querelle interne entre les libéraux et les conservateurs qui ont peur de l'ouverture, pour des raisons idéologiques, mais aussi économiques. Si l'Iran devient un pays ouvert, les pasdarans, qui contrôlent tous les trafics, risquent de perdre une bonne partie de leur business!

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