mardi 25 mars 2014

A quoi joue Mehdi Jomaa ?


Par Nizar BAHLOUL

Mehdi Jomâa a du mal à arracher les clous rouillés


Cela fait près de deux mois que le nouveau gouvernement de Mehdi Jomâa a pris ses fonctions et les premiers signes annonciateurs de flottement sont là. Il y a des flottements dont il n’est pas responsable, comme la situation économique dramatique dans laquelle se morfond encore le pays. Et il y a les flottements qui relèvent directement de ses responsabilités et celles de ses ministres. 
Lors de sa désignation par le Quartet, le chef du gouvernement avait une mission bien définie. Dans ce qu’on appelle feuille de route, on ne lui a pas demandé de résorber définitivement le chômage, ni de construire des autoroutes et des zones industrielles. Encore moins de dresser un plan de relance sur cinq ans. Ce que le Quartet a demandé à Mehdi Jomâa se résume en quelques points essentiels dont la prise de mesures urgentes en faveur du redressement économique, rétablissement du climat sécuritaire et l’organisation dans des délais raisonnables d’élections selon les normes démocratiques ordinaires. 

Pour pouvoir atteindre ces objectifs, le gouvernement n’a pas beaucoup de chemins à prendre et se doit, inévitablement, de réviser les nominations partisanes dans l’administration. Il est utopique que ce gouvernement puisse travailler, alors que les cabinets de ses ministres sont infiltrés par des membres qui ne doivent leur poste qu'à une proximité idéologique ou familiale ou amicale avec la troïka déchue. Il est impossible de relancer la machine économique avec des « clous rouillés » dans l’administration. Il est inimaginable que l’on puisse séduire des investisseurs étrangers et convaincre nos partenaires dans les pays amis avec des incompétents dans nos ambassades. Il ne faut pas se voiler la face, il y a des centaines de hauts responsables qui occupent aujourd’hui indument leurs postes et qui continuent à tirer le pays vers le bas. Quelle que soit la bonne volonté et la compétence de Mehdi Jomâa et ses ministres, ils ne pourront rien faire si leurs ordres sont exécutés par des bons à rien. 

Concrètement, et deux mois après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, on constate hélas que l’entourage de Mehdi Jomâa est encore composé de quelques fidèles à Ali Laârayedh, Noureddine Bhiri et Hamadi Jebali. C’est le même cas pour plusieurs autres ministères parmi lesquels on peut citer la Femme ou le Transport. Leurs responsables de communication continuent à boycotter les médias dits hostiles à la troïka et ne semblent pas du tout se rendre compte que leur ministre n’est plus un CPR ou un Nahdhaoui. Leur mentalité demeure encore partisane et ils oublient qu’ils sont là au service de l’Etat et non d’un ministre.
Idem dans les ambassades. Que faut-il attendre de bon de personnes comme Adel Fekih, Abderrazak Kilani, Khaled Ben Mbarek ou Karim Azzouz ? 
Mehdi Jomâa et son ministre des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, gagneraient peut-être à discuter en off avec quelques diplomates établis à Tunis pour prendre leur avis sur nos ambassadeurs dans leurs pays. Ils entendront des vertes et des pas mûres. Deux exemples pour illustrer ces propos. Dans une discussion de salon (100% off), un diplomate français révèle que notre ambassadeur à Paris aurait déclaré à ses collègues du Quai d’Orsay que la Tunisie ne s’intéresse plus à la France préférant donner la priorité à d’autres marchés du Golfe et de l’Asie notamment. Faut-il encore présenter Khaled Ben Mbarek dont le seul mur Facebook et son apparat dénotent de son incompétence totale en matière de diplomatie ? 
Les chancelleries chancellent et ce n’est certainement pas avec ces gens-là que la Tunisie va pouvoir redorer son image dans le monde. Mehdi Jomâa n’a pas des bras cassés dans les ambassades, c’est pire. Il a des gens qui lui et nous mettent des bâtons dans les roues. Si ce n’est de mauvaise foi, c’est au moins par incompétence notoire. Dis-moi qui t’a nommé, je te dirai qui tu es. 

Autre dossier non-traité par le gouvernement Mehdi Jomâa, celui de la Justice. Alors que la dissolution des LPR figurait parmi ses priorités, on constate avec regret que ces bandes organisées continuent encore à sévir. Jusqu’à ce week-end, leurs membres manifestaient dans les rues. 
Les anciens ministres trainant des casseroles avérées ne sont nullement inquiétés par le procureur ou le juge d’instruction. Deux exemples, Sihem Badi et Rafik Abdessalem. Personne ne parle des auto-nominations et auto-gratifications d’anciens ministres, tels Moncef Ben Salem et Abdellatif Mekki. 
Les députés, élus pour un an et dont le mandat est achevé depuis octobre 2012, continuent à mépriser totalement la justice en faisant valoir une immunité totalement et légalement illégitime. Ils sont au dessus de la loi et procureurs et juges d’instruction ne trouvent rien à redire. Idem pour le scandale du Livre noir. Où en est-on dans les convocations de Mohamed Henid (dont le nom est cité pour une ambassade) et Adnène Mansar ? 
Et puis, il y a les financements occultes des différentes associations nées comme des champignons ces deux dernières années. Certaines d’entre elles ont bénéficié de l’argent public sans que l’on sache trop comment. 

Sans révision des nominations, sans justice aveugle, sans enquêtes sérieuses suivies d’effets concrets sur les financements des associations et des médias proches de la troïka, il ne saurait y avoir des élections transparentes et démocratiques. Les dés seront pipés et l’expérience de transition démocratique sera vouée à l’échec. 
Il est bien clair que Mehdi Jomâa et ses ministres ont trouvé une situation dramatique et pire que ce qui a été annoncé par leurs prédécesseurs. Il est indéniable qu’ils font face à des chantiers titanesques et qu’on leur demande des prouesses herculéennes. Mais il est évident qu’ils sont dans l’obligation de prendre le taureau par les cornes. Ce que l’on constate, c’est que près de deux mois après leur arrivée, ils sont encore en train de brandir la muleta (le drap rouge du matador) en maintenant une distance de sécurité face à leurs adversaires. Il est grand temps de passer aux choses sérieuses. Dans la corrida, si vous ne prenez pas les devants, le taureau n’hésite pas à vous faire la peau.

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